Daniel

Texte de Daniel Wagner, « Présence », 17 janvier 2011

De toi je ne sais pas grand-chose en fin de compte. Il y a bien sûr les détails topographiques inévitables et dans une certaine mesure, révélateurs. Tu résides à Z, une petite bourgade industrielle au sud de W, la capitale. Les maisons y sont faites de briques rouge-sang pour la plupart, et la longue avenue centrale est coupée en son milieu, sur l’un des côtés, par la place du marché flanquée par l’église de laquelle, j’imagine, tu ne t’approches que rarement. Plus loin, sur le côté droit de l’avenue, à mi-chemin entre la place et le chemin de fer, émerge la petite rue latérale où tu vis. Je ne me souviens pas du numéro de ta maison. Elle est modeste, sûrement, guère plus de deux étages j’imagine, toute en briques rouges également. La porte d’entrée est faite de gros bois, et débouche presque immédiatement sur une volée d’escaliers. Ta chambre est à l’étage, encombrée de paquets de livres à même le sol, et sur la grande table, de cahiers, de papier à écrire et d’une quantité invraisemblable de crayons. Le plancher est en parquet terni.  Un chapeau posé sur le lit simple et vieillot me rappelle que tu es chapelier de métier. La fenêtre double, cernée par des murs blancs, est haute et dissimulée par des rideaux brodés à l’ancienne.

C’est toi que j’aimerais décrire. Ton apparence et ce qui se déroule en toi sont plus fascinants que l’aspect de ta chambre et la nature des objets qui s’y trouvent, bien que ces derniers en soient une sorte de reflet.

Tes cheveux sont bouclés ; ta tête est plutôt grosse pour ton corps ; tu portes de petites lunettes rondes perchées sur le tout devant de ton nez, épais et long ; C’est surtout ton beau regard que j’aimerais pouvoir décrire, si j’en étais capable. Comment dire ? Tu as les yeux clairs et vifs, qui ont l’air de pouvoir saisir les pensées les plus intimes de celui qui te fait face. Voila un bel atout pour un écrivain, il me semble. Car c’est là ta vraie vocation. Je connais les titres de toutes tes œuvres mais je n’en ai lu qu’un seul extrait. Elles sont introuvables, et le resteront me semble-t’il. Nous ne nous connaissons pas mais nous sommes proches. Tu as disparu subitement en 1930, à quarante ans.

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